Plongeons dans le bazar des normes de réseau mobile en France. Alors que la 2G et la 3G tireront leur révérence d'ici 2028, la 5G pointe le bout de son nez, précipitant l'obsolescence des appareils non compatibles et mettant en lumière les défis liés à la VoLTE. Le déploiement de la 4G et de la 5G par les opérateurs révèle un joyeux mélange de GreenWashing et d'intérêts excluant ceux des utilisateurs finaux qui vont en faire les frais.
Sommaire
État des lieux
Un énorme tas de normes en voie d'extinction
2G (GSM), 2.5G (GPRS), 2.75G (EDGE), 3G (UMTS), 3.5G (H+/HSPA+), 4G (LTE) et enfin 5G. Il s'agit des normes les plus connues qui ont été développées et coexistent encore aujourd'hui en France en 2023. Pourtant, l'extinction des réseaux 2G et 3G est actée.
Certains pays comme les États-Unis (lumière des lumières et modèle universel incontestable du 20ième, 21ième siècle et au-delà) ont déjà définitivement franchi le pas.
La suppression des antennes 2G-3G est prévue en France d'ici 2028. L'arrêt de la 2G est annoncé pour 2025 chez Orange, puis 2026 pour SFR et Bouygues. Free n'a pas de réseau 2G, et ne s'est pas exprimé sur sa 3G, alors qu'il fait encore partiellement appel au réseau d'Orange pour cette dernière.
En quoi la 4G diffère de ses prédécesseurs ?
À partir de la 4G, le réseau est un vrai réseau de type Internet où tout ce qui est échangé l'est sous forme de paquets IP routés entre les machines (réseau à commutation de paquet). La voix y est transmise via une technologie de Voix sur IP (VoIP) ; en théorie...
Les normes précédent la 4G (sauf la 2G) constituent des réseaux hybrides où la commutation de paquet dédiée aux données, coexiste avec la commutation de circuit dédiée à la transmission de la voix, et introduite sur les ondes avec la 2G/GSM.
Les liaisons de télécommunications utilisant la commutation de circuit réservent des canaux de diffusion entre appelants et un appelés, qu'il y ait des informations transmises ou non. Ceci mobilise des ressources, il est ainsi aisé de comprendre pourquoi ce système est problématique aujourd'hui pour l'optimisation des infrastructures.
Une foultitude d'articles existe sur ces sujets, les télécoms sont un domaine d'une complexité démente, je ne m'y attarderai pas plus au risque d'écrire des âneries.
Comment la rapidité de l'évolution vers la 5G accélère l'obsolescence ?
La mise au rebus des appareils non compatibles 4G
Si les appareils vendus sont globalement rétrocompatibles avec les anciennes normes, l'inverse est faux. Néanmoins les terminaux vendus depuis des années sont-ils totalement compatibles 4G ?
En effet, sans une compatibilité additionnelle avec la technologie VoLTE, la voix ne passe pas par la 4G, l'appareil retourne sur les réseaux 3G/H+ le temps de la communication. Le support VoLTE ou VoWiFi est donc incontournable pour le passage à l'an 2025. Or comme on le verra, ce support dépend de plusieurs facteurs bloquants (humains, industriels).
Qu'est-ce que la VoLTE ?
Il s'agit de la transmission de la voix sur le réseau 4G. Elle se fait par un codage optimisé pour les mobiles de type Voix sur IP et les données sont échangées selon le protocole ancestral et vénérable SIP. Les SMS suivent un canal similaire via une technologie SMSoIP.
Comment la mise en œuvre de la 4G et de la 5G influence la durée de vie des téléphones ?
Un mot sur la configuration usuelle des appareils pour les réseaux pré-4G
Lors de la connexion au service de l'opérateur les terminaux font appel à des paramètres d'usine ou permettent à l'utilisateur de les renseigner. Il s'agit des fameux paramètres d'APN, constitués d'identifiants (MCC, MNC) pour la connexion au réseau de l'opérateur ; ce dernier vérifiant ensuite si la demande est légitime. Chaque opérateur publie habituellement une page où il est possible de configurer les APN pour divers usages (sms, mms, data). Ce système est très flexible car il permet de pallier les oublis ou défauts de mise à jour des appareils tout en restant relativement accessible.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu'à ce que la 4G modifie substantiellement ce principe.
Le casse-tête de la configuration à l'ère post-4G
Chaque appareil dispose de ses propres composants électroniques envahissant le marché par vagues (générations). Par exemple tout le monde a entendu parler des fameuses puces Snapdragon de Qualcomm.
Ces puces (SoC) font tout ou presque sur un téléphone en embarquant une myriade de composants, du CPU au GPU en passant par le modem, le GPS, le Wi-Fi, gérant le traitement de l'image, du son et de la vidéo, et plus récemment possédant des sections dédiées aux calculs liés à l'IA.
Qualcomm est un acteur doublement dominant : à la fois par les multiples capacités de leurs puces mais aussi sur le marché (44 milliards de dollars de CA en 2022, soit presque autant qu'Intel) ; si la puce principale de votre téléphone ne leur appartient pas, vous y retrouverez à minima un de leurs modems.
Or comme tout acteur dominant cette firme américaine (lumière des lumières, etc.) se comporte comme une mafia. Le code source permettant de programmer ces puces est fermé ; on dit qu’il s’agit d’une technologie « vendor blob ». Ici les « blobs » qui nous concernent ont un rôle de paramétrage du modem 4G. Il est probablement que seule une poignée de personnes connaît leur contenu et leur fonctionnement.
Le youtubeur Micode a invité récemment Jean-Baptiste Kempf, président de VideoLAN (le lecteur libre VLC en forme de cône de signalisation...). Celui-ci ne mâche pas non plus ses mots vis-à-vis de Qualcomm et Cie.
Attention je stigmatise Qualcomm avec virulence car je tombe régulièrement sur leurs matériels et mon téléphone est directement concerné aujourd'hui. Mais d'autres industriels sont tout aussi problématiques comme Broadcom, MediaTek, etc.
La couche d'échange (HAL ou abstraction matérielle) entre le matériel (puce) et la couche logicielle (Android) est propre à une puce et doit être développée par de rares experts. Il n'est même pas certain que les constructeurs de téléphones disposent de la totalité du code source permettant de faire fonctionner leurs propres produits.
En effet, le SDK de Qualcomm permettant de compiler les fichiers mcfg_sw.mbn
est introuvable. Quelques rares projets (efstools, mbn_utils, mbn-mcfg-tools) permettent d'explorer le contenu de ces fichiers. Néanmoins sans documentation cela revient à modifier en aveugle des milliers de paramètres sans la moindre documentation. Si vous avez déjà essayé de configurer votre propre noyau Linux, sachez que c'est pire sur tous les points (outils, documentation, expertise requise, etc.). Par ailleurs, l'implémentation des mécanismes permettant de passer d'un réseau à l'autre, ou d'un réseau cellulaire au WiFi sans coupure n'est pas une mince affaire.
La VoLTE requiert donc une participation active et de bonne foi de différents acteurs pour son fonctionnement :
- Les opérateurs doivent proposer le service sur leur réseau et envoyer leurs spécifications aux fabricants ;
- Les fabricants de terminaux doivent embarquer les réglages pour chaque modèle vendu et en assurer les mises à jour régulièrement.
L'utilisateur est exclu de la boucle. Si depuis 2018 la plupart des téléphones 4G sont compatibles avec la VoLTE, tous n'embarquent pas les profils de tous les opérateurs, et tous ne bénéficient pas d'un support décent de la part du fabricant. Or ni les opérateurs, ni les fabricants de terminaux ne sont obligés d'implémenter le service.
Le rôle des politiques indécentes de support des mobiles vendus
Le monde actuel est un monde dans lequel 3 ans de support est considéré comme raisonnable et 5 ans comme exceptionnel... Avec l'arrivée de la 4G une vraie politique de support est plus que jamais nécessaire, or elle n'arrivera pas tant qu'il sera normal de penser qu'un appareil électronique s'use et a une durée de vie de 2 ans !
Récapitulatif du support proposé par quelques marques
Chez Google : 3 ans par défaut, 5 ans pour les appareils sortis en 2021 et plus, puis 7 ans à partir de 2023. Chez Apple : 5 ans, FairPhone : 7 ans, Samsung : 4 ans.
Avec une telle période de support, on se retrouve dans une situation où des appareils annoncés fin 2020, encore proposés à la vente en 2024, sont déjà obsolètes car plus concernés par les mises à jour de sécurité ou de système. C'est le cas du Google Pixel 4A 5G « périmé » depuis fin 2023 par exemple.
Le salut pourrait venir des constructeurs qui ont une gamme restreinte de produits et de systèmes d'exploitation, car il est plus aisé pour eux de maitriser les processus de mise à jour. Apple fait pourtant exception à cela car ils ne proposent qu'un support limité à 5 ans sur une plateforme en outre très fermée. FairPhone ou les nouveaux appareils de Google sont donc des alternatives intéressantes.
Sources :
Jusqu'ici si vous vouliez prolonger la durée de vie de votre téléphone et que vous étiez un peu geek sur les bords, il vous suffisait d'installer une ROM custom (système d'exploitation dérivé d'Android développé par une communauté ; cf. LineageOS, crDroid, /e/, etc.). Il était fréquent d'avoir un téléphone dont le support officiel s'était arrêté depuis des années et de bénéficier néanmoins d'une version d'Android récente et à jour.
Les binaires de type « vendor blob » (drivers de caméra, puce graphique, modem, etc.) étaient récupérés depuis la ROM officielle. Tout fonctionnait globalement bien puisque la plupart du temps ces binaires n'avaient pas besoin d'être mis à jour pour que le téléphone fonctionne. Il suffisait en dernier recours de prendre des blobs d'un téléphone cousin présentant un correctif ou une fonctionnalité intéressante. À aucun moment il n'était question d'en faire le reverse engineering pour les recompiler à partir d'un code source devenu public.
Le problème est qu'aujourd'hui l'usage de smartphones 4G sans VoLTE repose uniquement sur ces fichiers qui ne peuvent pas être corrigés.
Le phénomène est amplifié par l'effet commun de la réduction de la durée de commercialisation des générations de puces et d'une faible durée de support : Il est difficile de trouver un téléphone cousin à jour sur lequel prendre des blobs.
L'anarchie du déploiement par les opérateurs
Si Bouygues et Orange ont été les premiers à commencer à déployer leur réseau VoLTE dès 2015-2016, Free s'y est mis en 2021. Ainsi, les terminaux vendus avant 2021 compris n'ont aucune chance d'être compatibles avec cette VoLTE. Les plus « anciens » terminaux dont le support VoLTE est aléatoire et dont les mises à jour ont été stoppées depuis longtemps seront également progressivement coupés du service.
Aussi, la libération des fréquences de la 2G et de la 3G au profit de la 4G et de la 5G nécessitera une reconfiguration des modems[1]. Là encore impossible. Donc même un téléphone compatible 4G et VoLTE aujourd'hui pourra tomber dans des trous de couverture réseau à l'avenir.
À cela il faut ajouter comme toujours une mauvaise foi crasse des acteurs du marché :
Certains opérateurs, Orange en tête (comme toujours dans les mauvais coups), excluent unilatéralement de leur réseau des terminaux compatibles par un filtrage des IMEI. Cela revient à envoyer un message au client du type « on ne veut plus de ton téléphone, viens t'en acheter un ».
Certains constructeurs, Sony en tête ont clairement envoyé promener Free et d'autres opérateurs dans d'autres pays.
Le compte Free 1337, géré par les équipes en charge du réseau chez l'opérateur, indique que les paramètres ont été envoyés aux constructeurs il y a plusieurs mois et que ces derniers n'ont qu'à les intégrer à une mise à jour pour rendre leurs appareils compatibles avec les appels 4G.
Sony l'a d'ores et déjà informé qu'il ne proposerait aucune mise à jour sur ses terminaux et que de fait ses utilisateurs ne pourraient pas profiter des appels VoLTE. Source : Le bon fonctionnement des appels VoLTE chez Free dépend maintenant du bon vouloir des constructeurs (et Sony aurait déjà dit non)
- Le fabricant de chipset qui comme on l'a vu verrouille les spécifications de ses produits.
Difficile de ne pas y voir une convergence de moyens mis en œuvre dans un but mercantile.
Conclusion
La 4G semble être une norme au mieux déployée par-dessus la jambe, au pire déployée à dessein pour doper les ventes de terminaux.
Toujours est-il que le bon sens pratique devrait privilégier une autoconfiguration des terminaux avec une stratégie de repli proposée à l'utilisateur.
Des millions d'appareils sont voués à devenir de simples briques inutiles dans l'indifférence générale.
Il ne s'agit pas juste de téléphones mais de terminaux insoupçonnés (dont certains ne fonctionnent qu'en 2G) faisant partie intégrante de la vie courante, allant des dispositifs de d'appel d'urgence dans les ascenseurs ou les voitures (obligatoires depuis 2018) aux appareils de domotique et alarmes de surveillance, en passant par des machines à café, distributeurs de billets et TPE des commerçants. Sans parler des téléphones des personnes âgées ou des transmetteurs de dispositifs médicaux...
Tous ces produits termineront participeront à un faux sentiment de sécurité puisqu'ils ne fonctionneront plus le jour où leurs possesseurs en auront besoin.
Le tout est imposé dans un liant de bonne conscience morale (car écologique) à rendre jaloux les pires organes de propagande. Car figurez-vous, cette transition est annoncée comme étant écologique puisqu'il paraît que les nouveaux équipements des opérateurs consomment moins d'énergie...
Coté autonomie ou durée de vie des batteries pour les usagers le son de cloche est différent, car contrairement à la 2G, la 4G et la 5G consomment bien plus d'électricité...
Une belle démonstration de ce qu'est le GreenWashing.
Sources
- Reporterre - Arrêt de la 2G et 3G : la mise à mort de millions d’objets.
- Numerama - Quand les réseaux 2G et 3G disparaîtront-ils en France ?.
- Wikipédia - Session Initiation Protocol.
- Wikipédia - LTE.
- Wikipédia - Access Point Name.
- Wikipédia - International Mobile Equipment Identity.
- Wikipédia - Voice over LTE.
- Wikipédia - Voice over IP.
- Wikipédia - Voice over WiFi.
- Qualcomm Modem Configuration w/ Carrier Policy (XML).
- Le bon fonctionnement des appels VoLTE chez Free dépend maintenant du bon vouloir des constructeurs (et Sony aurait déjà dit non).
- GitHub - efstools.
- GitHub - mbn_utils.
- GitHub- mbn-mcfg-tools).